Retrouvez ci-dessous la lettre ouverte de maître Régley, votre avocat en accident de la route, à l'attention de monsieur Dupont-Moretti et de monsieur Darmanin suite à l'affaire Alléno
Lettre ouverte à MM. Dupont-Moretti et Darmanin suite à l’Affaire Alléno :
Pour une plus grande considération des victimes de la route
Lille, le 22 septembre 2022
Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le Ministre de la Justice,
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Le 8 mai 2022, Monsieur Antoine Alléno perdait la vie dans un accident de la route.
Aujourd’hui, les parents de la victime créent une association et dénoncent, à juste titre, la faiblesse de l’accompagnement humain dans les heures suivant ces drames.
Ce cri d’alarme doit être entendu, comme doivent être écoutées ces 50 000 familles qui perdent un être aimé sur la route ou sont confrontées au handicap chaque année.
Ces familles, déjà meurtries, ressentent souvent un manque de considération et de soutien de l’institution judiciaire.
Je pense à ces victimes qui attendent des mois pour qu’une enquête aboutisse. A ces familles qui ne comprennent pas pourquoi il faut attendre 3, 4 ou 5 ans pour qu’un procès vienne refermer le processus de deuil.
Je pense à ces parents à qui la Justice et les assurances disent que leur enfant « a une responsabilité » dans l’accident.
Comme auxiliaire de Justice, je tente de leur décrire les contraintes des policiers : difficultés budgétaires, problèmes de moyens, souci de personnels.
J’essaye de leur expliquer que les juges d’instruction, Magistrats méritants, sont débordés et parfois impuissants devant ces mêmes manques.
Malgré leur résilience admirable, les familles vivent ces lenteurs comme une douleur supplémentaire.
Chaque jour qui passe sans connaître la vérité est une souffrance infligée par l’État et par la Justice qui, au lieu de protéger et de consoler, aggravent les blessures.
Dans le respect de la présomption d’innocence, il est urgent que l’État montre davantage de considération aux victimes de la route.
Avocat de familles de victimes qui m’ont confié leurs espoirs, permettez-moi d’attirer votre attention sur quelques propositions qui démontreront la considération que l’État doit porter à ces citoyens meurtris :
- Créer des Cabinets d’instruction spécialisés en matière routière
Il existe des pôles spécialisés pour la grande criminalité, le terrorisme, les affaires financières etc… Il est temps de créer des Cabinets d’instruction dédiés aux infractions de blessures et homicides involontaires.
Des Magistrats, choisis pour leur compétence et leur humanité, seront déchargés des infractions de droit commun qui encombrent tant de Cabinets.
Moins de dossiers « juridiquement lourds ». Moins de dossiers à détention provisoire – qui passent avant les dossiers de droit routier. Plus de temps à consacrer à l’audition des victimes. Des investigations plus rapides etc…
Cette célérité, qui n’exclut pas le respect des droits de la défense, est une marque de considération attendue par les familles.
- Réduire les délais d’enquêtes préliminaires pour les infractions de blessures et homicides involontaires
- Imposer au Ministère Public un audiencement prioritaire de ces dossiers devant les juridictions correctionnelles
- Réserver les ouvertures d’information judiciaire (qui prennent trop de temps) aux accidents les plus complexes, nécessitant des investigations poussées
Créer des cellules psychologiques pouvant prendre en charge rapidement les familles.
Tout cela demande évidemment des efforts humains, budgétaires et politiques.
Mais l’État ne peut plus être complice de la souffrance des victimes.
La Justice ne peut plus, par sa lenteur, agrandir la blessure béante et inconsolable de ces familles.
La République ne peut plus tourner le dos aux citoyens qui vivent des heures sombres que chacun redoute.
Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, vous êtes des hommes du Nord. Vous savez combien les blessures, les souffrances et les difficultés, même les plus intimes, se guérissent grâce à l’Humain.
Nul doute que vous aurez à cœur de démontrer que l’État s’intéresse davantage aux victimes qu’aux auteurs.
Nul doute que vous accorderez plus d’importance à la souffrance de ces victimes.
Ces familles n’attendent pas de vous des effets d’annonce ou une énième loi plus sévère. Juste davantage de considération.
Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur le Garde des Sceaux,
Monsieur le Ministre de l’Intérieur, à l’expression de ma plus haute considération.
Me Antoine Régley